Le licenciement récent d’un cadre, pour avoir organisé et mis en œuvre un team building abusif, relance la polémique sur ces pratiques de « collaboration joyeuse organisée ».

D’habitude, on y dénonce plutôt les chamallow challenges (empiler des spaghetti et des chamallows pour faire la tour la plus haute possible), comme symbole d’un exercice aussi factice qu’empreint de vide. Cela rappelle les joyeux « icebreakers » (beaucoup plus classe en anglais) de début de réunion, où il est facile de basculer dans l’inutile en proposant des jeux dignes des Bronzés histoire de « détendre l’atmosphère ». Tout cela participe d’une infantilisation des participants (au mieux) et l’on voit que, avec les mêmes mécanismes qu’un bizutage, cela peut tourner à l’humiliation.

Certains n’hésitent donc pas à dire « ne dépensez plus votre argent dans le Team-Building! ».  Dans le cas de l’article sur cet événement précis, plusieurs choses interpellent, plus ou moins graves.

Un événement professionnel qui a dégénéré

Je mettrai d’abord en avant le préjudice pour le participant, mis en demeure d’expliquer à ses collègues pourquoi non, il ne marcherait pas pieds nus sur des tessons de bouteille. Sommé de justifier son choix, il a dû lever le voile sur une information intime, dans son milieu professionnel, ce dont il se serait bien passé.

Je serais curieuse de voir quelle vertu on a pu trouver à obliger un groupe de cadres à casser des tessons de bouteille pour ensuite marcher dessus. Il me semble que, lorsqu’on s’impose une telle épreuve dans d’autres cultures (comme à Bali, sur les braises) c’est au cours d’une transe particulière et avec un entraînement rigoureux. A part jouer à « ki ké le plus fort » et encourager sauvagement la compétition, et un pseudo-dépassement de soi, je ne vois pas ce que cela peut apporter à l’entreprise ni à ses salariés. Cela me semble être le contraire de ce que l’on recherche dans ces temps d’entreprise hors les murs.

 

Qu’est ce qu’un « team-building », avant d’être un mot à la mode?

Au départ, il s’agit d’offrir un moment festif et sans prétention, pour que les salariés retrouvent de la convivialité, tissent des liens et profitent d’un moment de respiration au cours d’un séminaire de travail.

On peut aussi aller plus loin et profiter pour amorcer un renforcement de la cohésion et de l’efficacité d’équipe, ce qui repose de mon point de vue sur 5 piliers: la confiance que l’on se porte, la qualité de la communication, la possibilité d’exprimer des opinions différentes et de challenger l’opinion dominante, l’engagement commun pour des résultats, et le partage des responsabilités.

Puisque dans le cas des tessons de bouteille, le côté festif et sans prétention ne me saute pas aux yeux, je pars donc du principe qu’on a voulu avoir un impact sur le management et nos fameux piliers de l’efficacité d’équipe.

Voyons voir comment cet exercice de marche a pu améliorer la coopération au sein de l’entreprise concernée:

  • voir son collègue marcher pieds nus sur des tessons de bouteille peut renforcer la confiance que vous avez en sa détermination, sa capacité à se dépasser, son endurance à la douleur; mais cela abîme aussi ce que vous pensez de son libre arbitre, de sa capacité à prendre du recul face à un ordre dénué de sens voire contraire à sa propre santé, bref, de son discernement.
  • au sujet de la qualité de la communication, à part « aïe » et « ça fait pas si mal que ça » je ne vois pas vraiment en quoi elle peut être améliorée par un tel exercice individuel. Mais disons que je manque d’éléments.
  • confrontation de points de vue différents: il s’agit ici plutôt de mettre le mouton noir à l’amende devant tout le monde, ce qui a l’effet contraire: « vois ce qui arrive aux divergents, prends en bien note, et la prochaine fois que tu auras une idée qui dévie de la ligne, surtout… TAIS TOI »
  • Engagement commun pour des résultats: on peut à la rigueur considérer que les tessons sont une métaphore d’une conduite du changement particulièrement pénible, dans un contexte de cost-killing drastique, mais que le soulagement final sera bon pour l’équipe (tordu non?). Ou alors, on souhaite révéler la souffrance des managers et la nécessité d’aller au delà pour le bien commun. (encore plus tordu!)
  • Partage des responsabilités: on voit bien ici qu’il y a un partage des responsabilités. Tu es in, ou tu es out. Tu suis le groupe, jusque dans ses délires, ou tu sors. C’est une responsabilité collective oui, celle d’avoir exclu celui qui ne pouvait pas suivre pour raisons personnelles, et non pour des raisons professionnelles. Ce n’est pas un manque d’investissement, de compétences, d’intégrité qui a été montré du doigt: c’est un manque d’obéissance aveugle. Ce qui, vous me l’accorderez, est très différent d’un partage sain des responsabilités pour atteindre un résultat commun et bénéfique à l’intérêt général des salariés ou de l’entreprise au sens large

Tout ceci est donc de mon point de vue l’inverse de ce que l’on souhaite développer quand on pratique l’intelligence collective ou le coaching de groupe.

Le Team-Building n’est de toute manière pas une solution miracle!

Il faut sans doute revenir à une position beaucoup plus humble quand on prétend accompagner un groupe de managers: non, le Team-Building n’est pas le remède à tous les maux de l’entreprise.

Il n’est qu’un outil parmi d’autres et doit s’insérer dans un parcours complet pour avoir un réel impact. Pour compléter ce point de vue, je mettrai en avant le SENS de ce que l’on fait. Et à ce titre je me détache de la fin de l’article qui prône des activités de team-building uniquement virtuelles.

Non, pour moi, la main et le cerveau doivent se réconcilier et s’aligner pour une harmonie complète. Pour moi, le team-building est là pour renforcer les liens au service d’un but commun – on n’est pas en entreprise uniquement pour se faire des potes, on peut aller boire un coup après…

Qu’avons nous à partager lorsque nous travaillons ensemble?

Ce qui nous rassemble, dans une entreprise, un projet associatif, une collectivité publique, c’est un objectif commun. Nous sommes là, tous ensemble, pour apporter XX à nos clients, nos usagers, nos membres. Nous le faisons efficacement, par les relations saines que nous avons su mettre en place entre nous, par des processus performants, grâce à l’expression et l’amélioration des idées de chacun des membres du groupe.

Pour avoir joué en ligne en appartenant à un clan virtuel (poke aux Guerriers du Silence sur Age of Empires ) je sais qu’on peut créer des liens par écran interposé. On peut même faire une prise de château à 200 joueurs réels en ligne, contre 200 adversaires tout aussi réels. C’est magique, incroyable, prenant, mais je ne me souviens que d’une poignée de véritables noms « IRL » parmi mes amis virtuels.

Je mesure a contrario, la puissance des liens que l’on peut créer par exemple dans une troupe de théâtre, avoir vécu le trac en coulisses, la préparation, l’angoisse de plaire au public.

Je mesure la force de l’engagement commun sur une paroi d’escalade, lorsque l’on confie le fil de sa vie à l’autre; lorsque l’on s’en remet au guide de haute montagne pour montrer le chemin et que celui-ci n’a de cesse que de faire ressortir de vous toutes vos capacités, vos ressources, pour vous montrer que vous êtes capable d’aller au sommet. Cela n’a rien à voir avec les expériences virtuelles en termes d’impact.

Comment renforcer réellement l’efficacité et la cohésion des équipes?

Alors, pour ma part, je privilégie le réel sur le virtuel, l’équilibre entre le digital et l’humain, l’alignement du sens et des valeurs.

Je prône les relations saines, l’engagement commun au service de l’Autre, le respect mutuel de ses collègues, de ses clients & usagers. Je demande « pourquoi » avant de proposer une activité de team-building ou de coaching collectif, pour m’assurer que ce que je vais faire va servir un bien commun. Et je sais que je ne suis pas la seule à avoir cette intégrité professionnelle.

Dommage que la parole n’ait pas été donnée aux personnes qui ont animé ce fameux « team-building commando ». Peut-être que je leur prête de mauvaises intensions à tort. Peut-être qu’il est facile de critiquer sur la base d’un article de presse. Mais ce genre de pratique jette le discrédit à la fois sur le cadre qui a été licencié, sur son entreprise, et malheureusement sur les professionnels de l’accompagnement dans leur ensemble. Ils n’en demandaient pas tant.

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